La recherche sur la conscience est depuis longtemps l'un des grands mystères non résolus de la neuroscience moderne. Les neuroscientifiques renommés Antonio et Hanna Damasio de l'Université de Californie du Sud ont proposé une hypothèse fascinante : ils situent les origines de la conscience dans les sentiments corporels. Ils soutiennent que les émotions—et non la cognition ou les fonctions cérébrales supérieures—constituent la base de la conscience.
Cette perspective pourrait fondamentalement modifier notre compréhension de nous-mêmes en tant qu'êtres humains et constitue un ajout contrasté aux théories établies qui ont principalement ancré la conscience dans la cognition et la perception.
Traditionnellement, la conscience a été considérée comme un produit du traitement cognitif et sensoriel. Cette vision, souvent résumée sous le terme de cognitivisme, considère la conscience comme le résultat d'un traitement complexe d'informations et de stimuli par le cerveau. Ainsi, la conscience est la capacité d'intégrer des impressions sensorielles du monde extérieur en une image cohérente qui nous apparaît comme un 'soi'.
Dans cette optique, la conscience est une extension des capacités cognitives des mammifères supérieurs, en particulier des humains. Des zones cérébrales supérieures, comme le cortex préfrontal, responsable des processus décisionnels complexes et de la réflexion, jouent un rôle central. La capacité d'auto-perception, ou la notion d'un 'soi' en tant qu'entité distincte, est également considérée comme un sous-produit de l'avancement cognitif.
Une autre théorie importante, la théorie de l'espace de travail global (GWT), suggère que la conscience émerge lorsque des informations provenant de divers systèmes sensoriels et cognitifs dans le cerveau convergent dans un 'espace de travail' partagé. Ce mécanisme permet aux informations de différentes zones cérébrales d'interagir et de générer une perception consciente. Ici, la conscience est la capacité du cerveau à intégrer diverses informations en un tout cohérent et à le présenter comme une unité.
Contrairement à ces théories orientées vers la cognition, les Damasios déplacent l'origine de la conscience vers le domaine de la sensation et du sentiment. Ils soutiennent que non seulement le traitement des stimuli externes ou l'intégration cognitive des informations génèrent la conscience, mais aussi la perception des états corporels internes.
Leur hypothèse place les 'sentiments homéostatiques' au centre : ces sentiments, profondément enracinés dans le corps et nous informant de notre état physique—faim, soif, douleur, froid ou bien-être—sont la base de l'expérience consciente. Dans cette perspective, les éléments cruciaux de la conscience résident dans les sensations que nous percevons à travers notre corps, plutôt que dans les processus cognitifs que nous avons souvent considérés comme fondamentaux.
Les Damasios fournissent également une explication évolutive pour leur théorie : le développement de la conscience n'a pas progressé avec la capacité de formuler des pensées complexes, mais avec la nécessité de réguler les états corporels fondamentaux et de survivre. Les sentiments homéostatiques—la perception de la faim, de la douleur ou de la température—offrent ainsi non seulement une base de survie, mais forment également le point de départ de l'expérience subjective. La conscience, selon les Damasios, n'est pas un accomplissement cognitif, mais un outil évolutif qui permet aux êtres vivants de maximiser leur bien-être et d'éviter activement les risques.
Certaines recherches peuvent craindre que le modèle des Damasios puisse conduire à négliger les processus cognitifs dans l'explication de la conscience. Après tout, la conscience humaine n'est pas seulement le ressenti des états internes, mais englobe également la réflexion complexe sur soi-même et le monde. Les Damasios eux-mêmes soutiennent que les processus cognitifs jouent effectivement un rôle important, mais que ceux-ci ne pourraient pas surgir sans le fondement des sentiments. La capacité de ressentir est le préalable à partir duquel la réflexion cognitive peut ensuite croître.
L'approche des Damasios pourrait également jouer un rôle dans la thérapie et le traitement des troubles mentaux. Si nous considérons la conscience humaine et la compréhension de soi comme profondément enracinées dans le corps, les méthodes thérapeutiques axées sur la conscience corporelle et la sensation pourraient acquérir une nouvelle signification. Les thérapies basées sur la pleine conscience ou les approches orientées vers le corps pourraient offrir un accès direct à la conscience en apprenant aux patients à percevoir et interpréter leurs sensations corporelles internes. Cela pourrait être utile dans le traitement de l'anxiété ou de la dépression, car les patients apprennent à mieux comprendre et réguler leurs émotions et leurs besoins en se concentrant sur leur corps.
Ainsi, la théorie des Damasios place l'humain en tant qu'être sensible et éprouvant au centre et pourrait aider à élever la thérapie d'un niveau purement cognitif à un niveau plus holistique. À une époque où le soi est souvent assimilé à la performance cognitive, cette perspective nous rappelle que la conscience est plus qu'un simple modèle computationnel complexe. Être humain commence dans les couches les plus profondes de la sensation corporelle—et la guérison pourrait commencer juste là.
Dans un monde de plus en plus orienté vers la cognition, ce retour au ressenti pourrait non seulement enrichir la neuroscience, mais aussi approfondir notre compréhension de nous-mêmes en tant qu'êtres vivants et sensibles.
Henrik Bischoff est psychologue clinique et neurocognitif, actuellement en recherche à l'Université privée Sigmund Freud à Vienne. Auparavant, il a été chercheur associé à l'Institut du cerveau Laureate à Tulsa, Oklahoma.